Pour célébrer les 20 ans de Compilatio, nous avons rassemblé enseignants, chercheurs, étudiants, ambassadeurs de l’intégrité, ingénieurs pédagogiques et directeurs d’établissement. Ensemble, nous avons imaginé l’enseignement de demain.
Lors de l’un des ateliers, nous nous sommes demandés : et si l’on n’utilisait plus les travaux rédactionnels pour évaluer, comment pouvons-nous mesurer les aptitudes des élèves ?

 

Sommaire

  1. Trois constats pour repenser l’évaluation sans écrit
  2. Évaluer le raisonnement : et si on passait par la simulation ?
  3. Évaluer l’autonomie : et si on interrogeait le processus plutôt que le résultat ?
  4. Évaluer la coopération : et si on évaluait le « faire ensemble » par la mise en situation ?

 

évaluation des compétences

1. Trois constats pour repenser l’évaluation sans écrit

Nous sommes partis de 3 constats.

  • En France, un manquement sur cinq à l’intégrité scientifique concerne le plagiat (Rapport 2022-2023 de l’Office français de l’intégrité scientifique).
  • Les étudiants recourent massivement à l’IA générative. L’étude « L’impact des IA génératives sur les étudiants » parle même de 99 % d’utilisation, un chiffre à nuancer car issu d’un échantillon spécifique.
  • L’écrit reste aujourd’hui l’outil central de l’évaluation : dissertations au bac, mémoires à l’université, rapports en grandes écoles, articles en recherche...

Mais si l’écrit venait à perdre cette place centrale, comment évaluer autrement ?
Pour explorer cette idée, nous avons choisi trois aptitudes clés et réfléchi à des façons concrètes de les évaluer sans passer par l’écrit : le raisonnement, la coopération et l'autonomie.

2. Évaluer le raisonnement sans écrit : et si on passait par la simulation ?


Le raisonnement est une aptitude clé dans tout parcours d’apprentissage : structurer sa pensée, analyser une situation, formuler des hypothèses, proposer des solutions. Habituellement, on évalue cette compétence à l’écrit. Mais sans support rédigé, comment faire ?

Lors de notre atelier, plusieurs pistes ont émergé :

  • à l’oral (exposé, prise de parole sans préparation, analyse en direct d’un raisonnement),
  • par les échanges collectifs (débats, jeux de rôle, discussions de cas),
  • via des visuels (schémas, cartes mentales, posters explicatifs),
  • ou encore grâce à des simulations, solution qui a retenu notre attention.
nouvelles formes d’évaluation

Nous avons testé un scénario : un étudiant joue le rôle d’un commercial face à des clients difficiles, avec pour mission de vendre un logiciel. Il reçoit le brief, a un court temps de réflexion, puis entre en simulation. L’échange est suivi d’un débrief, où il commente ses choix, ses arguments, et son raisonnement.

Cette approche présente plusieurs avantages :

  • elle met l’étudiant dans l’action,
  • elle reflète des situations professionnelles concrètes,
  • elle rend le raisonnement visible, explicite, analysable.

Elle permet aussi d’éviter le plagiat ou l’usage de l’IA, car tout se joue en direct. Mais elle demande des moyens : préparation des étudiants et des évaluateurs, matériel (caméra, scénarios, parfois outils techniques comme un simulateur ou de la réalité virtuelle), et surtout, du temps.

raisonnement autonomie coopération

Côté enseignants, la mise en œuvre peut sembler complexe, surtout dans certaines disciplines.
Côté étudiants, la simulation peut générer du stress, notamment si elle est filmée ou notée en direct.
Un équilibre est donc à trouver entre réalisme, accompagnement et préparation.

Ce qui ressort des échanges : pour bien évaluer un raisonnement, il faut que l’élève explique son cheminement. L’évaluation doit être qualitative, contextualisée, et prendre en compte des compétences transversales. Une vraie remise en question de nos pratiques, à l’heure où l’écrit n’est plus le seul garant de la pensée structurée.

3. Évaluer l’autonomie : et si on interrogeait le processus plutôt que le résultat ?

 

L’autonomie est une aptitude essentielle : savoir prendre des décisions, s’autoévaluer, croiser les savoirs, réfléchir à ses choix. Pour l’évaluer sans support écrit, plusieurs types de dispositifs ont été envisagés lors de notre atelier :

  • des travaux de groupe, avec répartition des rôles, gestion de projet de A à Z, ou encore débats où chacun doit prendre position ;
  • des mises en situation, notamment en contexte de “crise” fictive, avec une analyse des risques et une évaluation croisée par les pairs ;
  • des formats de questionnement réflexif, sur le processus mené dans un devoir : quelles sources ? quelles difficultés ? quels choix ? quelles améliorations possibles ?
  • ou encore des approches plus informelles comme des micro-trottoirs ou interviews, pour interroger le regard porté sur sa propre méthode de travail.
pédagogie innovante

Parmi ces pistes, une solution a retenu l’attention : le questionnement sur le processus suivi par l’étudiant. Cette approche recentre l’évaluation non pas sur ce qui est produit, mais sur comment cela a été produit.

Ce type de questionnement permet plusieurs choses :

  • il met en lumière le processus, souvent invisible dans les rendus finaux,
  • il valorise la réflexion personnelle et la capacité à prendre du recul,
  • il permet à l’étudiant d’apporter des preuves concrètes (bibliographie, outils utilisés),
  • il agit comme une grille d’autoévaluation, utile pour progresser.
     

En pratique, ce format implique du temps d’échange (oral ou écrit libre), une présence humaine pour l’évaluation, et une certaine souplesse dans le choix du support (entretien, audio, vidéo, formulaire réflexif…). Le coût dépend donc du format choisi et du temps disponible côté enseignants.

évaluer autrement

Autre point fort : ce dispositif limite l’usage abusif de l’IA. En posant des questions ciblées : Qu’est-ce que tu changerais ? Qu’as-tu appris ? Quelles limites de l’IA as-tu rencontrées ? 
On pousse l’étudiant à réfléchir de manière personnelle, en dehors d’un simple copier-coller ou d’un texte généré.

Côté étudiants, ce format est à la fois valorisant et stressant : il responsabilise, encourage la prise de recul, mais peut aussi générer de l’inconfort. Pour les enseignants, c’est une opportunité de créer un lien pédagogique fort, même si cela demande du temps et une certaine adaptation.

Ce qui ressort clairement : évaluer l’autonomie, c’est accepter de se concentrer moins sur ce qui est produit, et davantage sur comment cela a été produit. Une bascule progressive, mais essentielle, pour repenser l’évaluation à l’ère de l’IA.

4. Évaluer la coopération : et si on évaluait le « faire ensemble » par la mise en situation ?


Travailler à plusieurs, s’écouter, prendre des décisions collectives, se répartir les rôles… La coopération est au cœur de nombreuses situations professionnelles. Mais comment l’évaluer sans support écrit ? Lors de notre atelier, plusieurs pistes ont été évoquées : auto-évaluation, évaluation par les pairs, journal de bord, présentation orale, ou encore vote interne au groupe pour mesurer l’implication de chacun.

simulation pédagogique

La solution retenue : la mise en situation simulée. Elle permet de recréer des conditions concrètes où la coopération est essentielle, tout en observant la coordination entre les participants. On peut y intégrer des scénarios variés, des imprévus, et même le droit à l’erreur, ce qui rend l’expérience plus réaliste et formatrice.

Ce format demande toutefois des moyens : plusieurs enseignants ou encadrants, un jury, du temps de préparation et de débrief, ainsi qu’une formation à l’évaluation des compétences transversales (soft skills). Les outils peuvent être simples ou techniques, selon le domaine et le niveau de simulation souhaité.

plagiat et intelligence artificielle

Côté éthique, la réalisation en direct limite fortement les risques de triche ou de recours à l’IA. On évalue ce qui se passe dans l’action, avec les autres.

Les étudiants accueillent généralement bien ces mises en situation, même si une appréhension initiale peut exister. Côté enseignants, ces dispositifs sont souvent bien utilisés en début de parcours (notamment en première année), mais leur pérennisation reste un enjeu.

Cette approche met en lumière une réalité : coopérer, ça s’apprend, et cela mérite d’être évalué autrement que par un compte-rendu ou un rapport collectif. En créant des espaces où l’on peut tester, ajuster, recommencer, on évalue la compétence de manière vivante et authentique.

Conclusion : repenser l’évaluation, sans renier l’écrit


L’évaluation par écrit reste aujourd’hui le moyen le plus utilisé, et elle conserve toute sa légitimité. Elle permet d’analyser une pensée structurée, de poser une réflexion dans le temps, et de répondre à de nombreux objectifs pédagogiques. Il ne s’agit donc pas de l’abandonner, ni de la dénigrer.

Mais face aux transformations profondes du monde éducatif, notamment l’usage croissant de l’IA, il devient nécessaire d’explorer d’autres voies. Raisonnement, autonomie, coopération : ces compétences essentielles peuvent aussi être évaluées autrement, avec des approches plus ancrées dans l’action, la réflexion personnelle ou le collectif.

Les solutions testées lors de notre atelier montrent qu’il est possible de construire des dispositifs plus variés, plus vivants, et plus proches des réalités professionnelles. Oui, cela demande du temps, des moyens, de l’expérimentation. Mais c’est aussi une opportunité pour enrichir nos pratiques, mieux accompagner les apprenants, et donner du sens à l’évaluation.

Réinventer ne veut pas dire remplacer, mais compléter et ouvrir des perspectives vers une évaluation plus juste, plus formative, et plus humaine.

Photo de Élodie BRESSE

Élodie BRESSE

Convaincue que l’intégrité construit la réussite, je développe des contenus pour aider les étudiants et les enseignants dans leurs usages numériques.