À l’occasion d’un atelier organisé dans le cadre des 20 ans de Compilatio, enseignants, ingénieurs pédagogiques et responsables d’établissement se sont réunis pour réfléchir à une question centrale : Comment passer d’un apprentissage qui encourage la compétition à un apprentissage de la coopération ?

Ce thème a suscité des échanges riches et parfois contrastés, tant la compétition est profondément ancrée dans les pratiques éducatives actuelles. L’objectif n’était pas de la rejeter en bloc, mais d’identifier ses limites et de construire ensemble des pistes pour replacer la coopération au cœur de l’apprentissage.

 

Sommaire

  1. Compétition : des bénéfices... mais aussi des limites
  2. Freins relationnels : ce que vivent les étudiants
  3. Zoom sur un frein relationnel : dépasser les affinités et répartir équitablement les tâches
  4. Freins institutionnels : ce que montre le cadre
  5. Zoom sur un frein institutionnel : dépasser l’intérêt individuel pour construire du collectif
  6. Freins technologiques : ce que disent les usages
  7. Zoom sur un frein technologique : alléger et adapter les outils à la coopération
compétition scolaire

1. Compétition : des bénéfices... mais aussi des limites

La compétition n’est pas en soi négative. Dans le cadre scolaire ou universitaire, elle peut stimuler l’effort, le dépassement de soi, ou encore développer la créativité. Les concours, les classements ou les défis peuvent aussi apporter une dimension ludique à l’apprentissage, et apprendre aux élèves à gérer l’échec.

Mais la compétition peut aussi produire des effets plus problématiques :

  • Une pression excessive liée aux notes, vécues non comme un repère, mais comme un jugement de valeur (« Je suis meilleur parce que j’ai eu 15 »).
  • Une logique de classement permanent (premier/dernier de la classe, major de promo), renforcée par des pratiques comme la distribution des copies en ordre décroissant.
  • Une sélection par la rareté : filières à nombre de places limitées, concours, admissions basées sur le rang.

Cette culture de la performance peut rendre la coopération plus difficile à mettre en place, car les élèves sont incités à se comparer plutôt qu’à s’entraider.

2. Freins relationnels : ce que vivent les étudiants

Certains blocages viennent des interactions entre les étudiants eux-mêmes. Voici quelques situations fréquemment observées :

  • Les groupes de travail imposés peuvent créer une appréhension initiale, surtout lorsqu’ils cassent les affinités naturelles.
  • Il existe une peur du jugement : d’être mal évalué par ses camarades ou de ne pas être à la hauteur.
  • La crainte du “passager clandestin” revient souvent : un membre du groupe qui participe peu mais bénéficie de la même note.
  • La répartition des tâches dans un projet commun peut devenir source de tensions : chacun cherche un équilibre perçu comme juste.
  • Les relations amicales influencent fortement la dynamique : certains refusent de s’investir s’ils ne sont pas avec leurs amis.
  • La comparaison constante avec les autres peut inhiber la participation ou créer des rivalités.
  • Le manque de confiance en soi bloque certains étudiants, d’autant plus si on leur renvoie qu’ils ont “des lacunes” ou “pas le niveau”.
  • Une logique de compétition sociale (“être le meilleur”) nuit à la construction d’un objectif commun.
travail de groupe étudiant

3. Zoom sur un frein relationnel : dépasser les affinités et répartir équitablement les tâches

Dans les travaux de groupe, les relations amicales peuvent freiner l’implication ou biaiser la répartition du travail. Il est parfois difficile pour les étudiants de sortir de leur cercle de confiance, ou de gérer l’équité sans créer de tensions.

Solutions proposées :

  • Constitution automatisée des groupes, par tirage aléatoire ou via des outils comme Moodle.
  • Affichage clair des rôles ou de la répartition du travail en pourcentages, pour rendre visible l’engagement de chacun.

Modalité de mise en œuvre :

  • Formation sur le travail en groupe : comment organiser un projet, se répartir les tâches, gérer un planning collectif.

Action immédiate :

  • Création d’un module en ligne (ou micro-formation) à destination des étudiants et/ou enseignants sur la gestion efficace du travail collaboratif.

4. Freins institutionnels : ce que montre le cadre

Le cadre dans lequel les étudiants évoluent peut rendre la coopération difficile à mettre en œuvre, voire secondaire face aux autres priorités pédagogiques :

  • L’individualisation des parcours limite les occasions de travailler ensemble, les étudiants n’ont pas toujours les mêmes cours, ni les mêmes temps de pause.
  • Les emplois du temps surchargés laissent peu de temps pour le travail de groupe, surtout si les espaces disponibles ne sont pas adaptés (manque de salle, bruit...).
  • Une organisation hiérarchisée et rigide freine l’expérimentation pédagogique et l’autonomie collective.
  • Les licences fermées (par opposition aux ressources ouvertes de type Creative Commons) limitent le partage de contenus entre pairs.
  • Les inégalités sociales (différences de budget, de bourse, d’équipement) peuvent créer des écarts de participation.
  • Le manque de soutien institutionnel freine l’impulsion de projets collaboratifs à plus grande échelle.
pédagogie collaborative

5. Zoom sur un frein institutionnel : dépasser l’intérêt individuel pour construire du collectif

Certaines dynamiques institutionnelles ou sociales poussent à optimiser son propre parcours au détriment de l’objectif commun. Dans ces cas, la coopération est souvent perçue comme un frein ou un coût.

Solutions proposées :

  • Prendre le temps de définir collectivement la finalité du projet ou de l’apprentissage.
  • S’appuyer sur des outils coopératifs pour structurer la prise de décision partagée.

Modalités de mise en œuvre :

  • Mise en débat et clarification des objectifs communs en début de projet
  • Sélection et adaptation des outils de gouvernance collaborative (type "sociocratie", "roue des finalités", etc.)

Actions immédiates :

  • Valoriser les comités stratégiques (direction, équipes projets, commissions pédagogiques)
  • Identifier, tester et diffuser des outils de coopération permettant de capter les signaux faibles ou les tensions émergentes
  • Intégrer des points d’étape réguliers pour ajuster les projets en cours de route

6. Freins technologiques : ce que disent les usages

Les outils numériques peuvent faciliter la collaboration… mais aussi la compliquer :

  • La multiplicité des outils et des formats peut créer de la confusion, surtout si les étudiants ne sont pas formés à leur usage.
  • Les outils de travail collaboratifs sont parfois perçus comme trop lourds ou lents à utiliser : beaucoup préfèrent “papier et stylo” pour aller plus vite.
  • Les habitudes de travail individuelles sont bien ancrées, et l’apprentissage des outils numériques n’est pas toujours accompagné.
  • Les réseaux sociaux entretiennent des logiques de compétition.
  • Certains outils bloquent le travail collectif dès qu’un membre quitte le groupe, ce qui peut freiner la continuité du projet.
  • Il existe aussi des inégalités d’accès aux outils : accès limité à certains logiciels, abonnements payants, incompatibilité entre écosystèmes (ex. outils propriétaires comme Apple).
éducation et coopération

7. Zoom sur un frein technologique : alléger et adapter les outils à la coopération

Le foisonnement d’outils numériques peut décourager la coopération : interfaces différentes, manque d’interopérabilité, prise en main difficile... Sans accompagnement, cela devient un frein plutôt qu’un levier.

Solutions proposées :

  • Éliminer les outils peu utilisés ou trop complexes
  • Optimiser les usages d’outils simples (par exemple : utiliser Teams uniquement pour la visioconférence)
  • Laisser le choix aux étudiants d’utiliser l’outil qui leur convient, plutôt que d’imposer un cadre unique

Modalités de mise en œuvre :

  • Lancer une enquête étudiants/enseignants pour identifier les outils à garder, à supprimer ou à remplacer
  • Créer une FAQ ou un module de formation express sur les outils clés (ex. : "Teams en 10 minutes")

Actions immédiates :

  • Lancer une enquête flash sur les usages numériques réels et les irritants
  • Adapter la formation existante ou la documentation selon les résultats

Conclusion : coopérer, ça s’apprend

Favoriser la coopération dans l’apprentissage ne va pas de soi. Cela demande de dépasser des freins relationnels, institutionnels et technologiques bien ancrés.

L’atelier a permis de proposer des solutions concrètes et activables, à différents niveaux. Il ne s’agit pas de supprimer toute forme de compétition, mais de redonner une vraie place au collectif dans les parcours d’apprentissage.

Former à la coopération, c’est préparer les étudiants à travailler ensemble, dans un monde qui valorise de plus en plus les compétences collaboratives.

Photo de Élodie BRESSE

Élodie BRESSE

Convaincue que l’intégrité construit la réussite, je développe des contenus pour aider les étudiants et les enseignants dans leurs usages numériques.